
VEJA, la basket durable qui trace sa route
Depuis près de 20 ans, VEJA redéfinit les contours de la basket. Derrière cette enseigne française devenue culte, une obsession : celle de conjuguer style, transparence et engagement écologique. En 2024, nouveau virage pour la marque : ses emblématiques baskets ne sont plus exclusivement « made in Brazil », mais désormais aussi produites en Europe. Une étape clé dans l’histoire de VEJA que l’on décrypte avec son cofondateur, Sébastien Kopp.
Produire en Europe pour l’Europe : le projet AEGEAN
Depuis février 2024, un détail interpelle les fans de VEJA : le modèle V-90 arbore fièrement une nouvelle étiquette « made in Portugal ». Une première dans l’histoire de la marque, qui n’avait jusqu’ici jamais quitté le Brésil pour la fabrication de ses sneakers.
Ce projet baptisé AEGEAN — en hommage à la mer Égée, berceau culturel de l’Europe — incarne un tournant. « On voulait produire localement pour le marché européen, dans des conditions respectueuses des droits des travailleurs et de l’environnement », explique Sébastien Kopp. Le Portugal s’est imposé comme une évidence : proximité géographique, maîtrise artisanale, et lien naturel avec les équipes de VEJA, dont plusieurs membres sont bilingues.
Installée à Porto, l’usine SAMBA Footwear, réputée pour son savoir-faire (elle produit aussi pour Vivienne Westwood ou Clarks), est devenue le nouveau partenaire de la marque. Depuis 2023, plus de 80 000 paires y ont déjà été produites, avec des matériaux sourcés localement pour limiter l’empreinte carbone. Une alternative éthique à l’importation de matières premières européennes au Brésil, longtemps jugée absurde par les fondateurs.
"On ne relocalise pas VEJA en Europe, on ouvre une nouvelle filière. Pour l’instant, ça représente 3 à 5 % de notre production. On verra ce que ça devient."
— Sébastien Kopp, cofondateur de VEJA

De la sneaker au projet de société
Retour au début des années 2000. Alors que le monde de la basket est dominé par les mastodontes Nike et adidas, deux Français décident de faire un pas de côté. En 2005, VEJA (qui signifie « regarde » en portugais) voit le jour avec un premier modèle au design rétro et aux ambitions bien ancrées dans le sol amazonien : matières premières bio, fabrication locale et circuits transparents.
« À l’époque, tout le monde nous disait que ça ne marcherait jamais. Le web n’existait pas comme aujourd’hui, on vendait à quelques boutiques. On a écoulé 5 000 paires en quelques jours... puis on a refusé le réassort. »
Cette lente montée en puissance est assumée. Refus des investisseurs, pas de pub, pas de soldes, une croissance pensée à contre-courant : « On veut construire sur le temps long. »
La V-90, une basket pensée pour durer
Lancée en septembre 2023, la V-90 est la première basket VEJA à bénéficier de cette nouvelle chaîne de production européenne. Pensée pour le marché européen, cette paire en cuir souple made in Portugal est conçue pour maximiser le confort — un point longtemps perfectible chez la marque.
Elle combine matières nobles (cuir et suède sourcés et tannés en Europe), semelle assez haute et silhouette inspirée des années 90. Le tout sans perdre l’ADN minimaliste et athlétique qui fait le sel de VEJA.

Baskets stylées et engagées : les modèles cultes de VEJA
Avec plus de 15 millions de paires écoulées dans le monde, VEJA a su imposer une vraie signature. Retour sur 5 modèles qui ont marqué l’histoire de la griffe.
1. Volley (2005)
Le tout premier modèle. Une basket fine, plate, en cuir, directement inspirée du volley-ball brésilien. Relancée en 2024, elle revient charmer une nouvelle génération nostalgique du style 70’s.
2. SPMA (2010)
Pour « São Paulo Mon Amour ». Une basket montante, au design rétro, adoptée par Rihanna ou Bieber à l’époque. Véritable madeleine de Proust des années 2010.
3. Esplar (2011)
Du nom d’une ONG brésilienne, cette basket fine est devenue un classique. Déclinée en version Velcro dès 2016, elle séduit pour son look sobre et passe-partout.
4. V-10 (2017)
Sans doute la plus connue. Écologique, mixte, et ultra versatile, elle se distingue par sa semelle plus épaisse et ses déclinaisons colorées.
5. V-90 (2023)
La petite dernière. Déjà culte, elle s’impose comme la nouvelle génération de baskets éthiques, alliant confort, matériaux européens et look vintage. Un modèle produit pour l’Europe… en Europe.

L’avenir : entre Amazonie, cordonneries et transmission
Produire mieux, réparer plus : c’est aussi le pari de VEJA. À Paris, Berlin ou Madrid, la marque a ouvert des cordonneries intégrées à ses boutiques. Dernière-née : Veja General Store, un espace parisien dédié à la réparation, au recyclage, mais aussi à l’expérimentation.
Côté production, le Brésil reste un pilier. Plus de 2 000 producteurs de caoutchouc collaborent avec VEJA, et les usines partenaires y sont spécialisées par type de produit, du lifestyle au running.
"Beaucoup de marques passent commande sans connaître la provenance de leurs matières. Nous, on va sur place. C’est ça, le vrai secret de VEJA."
Une marque, un modèle, une vision de la mode qui détonne
Ce que l’aventure VEJA raconte, ce n’est pas seulement l’histoire d’une marque éthique qui réussit — c’est aussi celle d’une réinvention possible du modèle économique de la mode.
À contretemps des tendances éphémères, VEJA prouve qu’il est possible de construire une marque désirable sans publicité, sans levée de fonds, sans céder à la course au volume. La basket devient ici un support d’expérimentation sociale, un objet manifeste, à la fois mode et politique.
La relocalisation partielle de la production en Europe illustre une logique de bon sens que beaucoup de marques redécouvrent après des décennies d’ultra-mondialisation : produire là où l’on vend, s’ancrer localement, limiter les flux inutiles. Ce choix n’est pas qu’écologique — il est aussi stratégique. En rapprochant les lieux de fabrication, VEJA gagne en agilité, en traçabilité, en crédibilité.
Mais la marque va plus loin. Elle ne se contente pas de faire “moins mal” — elle cherche à faire mieux : mieux produire, mieux consommer, mieux réparer. Dans un secteur encore miné par l’opacité, le greenwashing et la fast fashion, VEJA agit comme un contrepoint exigeant.
En somme, VEJA incarne cette troisième voie entre le militantisme radical et le capitalisme décomplexé. Une forme de capitalisme régénératif, lent, responsable, qui prend le temps de faire les choses bien. Et ça, en 2025, c’est sans doute ce qu’il y a de plus subversif.
© Photographies VEJA