
Shein contre la loi anti fast fashion : offensive de com' XXL ou panique à bord ?
Quand une marque se retrouve dans l'œil du cyclone législatif, deux choix s'offrent à elle : se remettre en question ou contre-attaquer. Shein, le mastodonte chinois de l’ultra fast fashion, a visiblement opté pour la seconde option… mais version char d’assaut. En pleine tempête autour de la loi anti fast fashion, actuellement débattue au Sénat, Shein a dégainé une campagne de communication massive, digne d’un blockbuster. Objectif : faire dérailler un projet de loi qui pourrait sérieusement perturber son business en France.
Spoiler alert : Shein ne joue pas petit bras. Et c’est justement cette stratégie agressive et ultra rodée qu’on décrypte ici. Communication, influence, lobbying, storytelling et affichage grand public… Le géant ne recule devant rien. Mais est-ce que ça marche ? Et surtout, est-ce crédible ?
Une loi qui ne passe pas
Retour rapide sur le contexte : la proposition de loi portée par la députée Anne-Cécile Violland vise à réduire drastiquement l’impact environnemental des géants de la mode rapide. Taxe sur les livraisons, interdiction de pub, durcissement des critères environnementaux… Bref, un vrai pavé dans la mare pour Shein, qui incarne à elle seule tous les excès de cette industrie. Le texte a été adopté à l’unanimité par l’Assemblée nationale en mars 2024, mais depuis, il piétine au Sénat, largement sous l’influence des campagnes d’influence et de lobbying de Shein. Coïncidence ? Pas vraiment.
Du lobbying tous azimuts
Depuis un an, Shein a méthodiquement déployé les grands moyens. Embauche d’anciens politiques (dont Christophe Castaner, ex-ministre de l’Intérieur), recrutement de pros du lobbying, alliances avec des agences de communication comme Havas, Image 7, Plead… Le plan est clair : peser sur le débat public et parlementaire en contrôlant le narratif.
Et ça bosse sec. Rencontres avec des sénateurs, tribunes dans la presse, appels du pied aux grandes fédérations de l’industrie textile, et même intervention de leur CEO Donald Tang en personne, qui a récemment fait le tour des rédactions françaises. Un vrai marathon politique. Mais cette offensive n’est pas qu’institutionnelle. Shein joue aussi sur le terrain grand public.
Campagne coup de poing : “La mode est un droit, pas un privilège”
Du 28 avril au 4 mai, Shein a saturé l’espace médiatique avec une campagne de com' grand public. Affiches dans le métro, encarts dans la presse, vidéos sur les réseaux : un seul message, martelé comme un slogan politique — “La mode est un droit, pas un privilège”.
Derrière cette phrase en apparence inclusive, se cache une stratégie bien huilée : se positionner comme le défenseur du pouvoir d’achat des Français, en jouant à fond sur la corde sensible de l’accessibilité. Car Shein le sait : malgré toutes les polémiques, ses prix cassés restent un argument de poids pour une grande partie des consommateurs.
En parallèle, le site “pour-une-mode-accessible.fr” a été lancé pour mettre en avant les “engagements” de la marque en matière de durabilité, d’inclusivité et de transparence. Spoiler : c’est un peu comme repeindre une plateforme pétrolière en vert et dire qu’elle est écolo.
Le récit du “modèle vertueux” : un peu trop beau pour être vrai
Dans ses prises de parole, Shein insiste sur un élément central de son argumentaire : son modèle de production à la demande. L’idée ? Ne produire que 150 à 200 pièces par article pour tester la demande, avant d’éventuellement relancer une production plus large. Résultat, pas de gaspillage, pas d’invendus, donc une empreinte carbone (soi-disant) maîtrisée.
Problème : sur le papier, ça a l’air malin. Mais dans les faits, les volumes globaux explosent, la cadence de production est infernale (plus de 7000 nouveaux produits par jour), et le modèle reste largement fondé sur des matériaux synthétiques peu recyclables et très polluants (coucou le polyester). Sans parler des millions d’articles expédiés chaque jour par avion depuis la Chine.
Quant aux conditions de travail dans les usines, les enquêtes s’accumulent, les reportages aussi… mais Shein continue de nier, tout en peaufinant sa communication RSE.
Influenceurs, storytelling & Magali Berdah (si, si…)
Pour mobiliser sa communauté, Shein a aussi dégainé l’artillerie TikTok. La marque a même réussi à faire sortir de sa tanière Magali Berdah, ex-papesse de l’influence, pour aller interroger des passants sur une éventuelle taxe de 10€ sur les vêtements Shein.
Résultat : moins de 100 000 vues sur la vidéo la plus virale… Un flop. Preuve que les ressorts de l’influence 2019 ne fonctionnent plus forcément en 2025. Les publics ont changé. Le cynisme ambiant aussi.
Mais Shein continue d’inonder les réseaux avec des campagnes “hauls”, des concours pour jeunes créateurs, des vidéos bien produites qui tentent de redorer l’image d’une marque perçue, de plus en plus, comme déconnectée des enjeux climatiques.
À suivre : une loi fragilisée, mais une réputation en jeu
Le 10 juin, le Sénat votera (enfin) sur le texte. Entretemps, certains articles ont déjà été vidés de leur substance, notamment l’interdiction de publicité. Le lobbying semble porter ses fruits. Mais à quel prix ?
Car malgré l’avalanche de messages bien ficelés, Shein peine à convaincre en profondeur. Le discours est trop lisse, trop éloigné des faits documentés, trop en décalage avec la réalité sociale et écologique. Et ça, les citoyens commencent à le sentir.
Un contre-feu qui sent le marketing de crise
Si on prend un peu de recul, cette campagne Shein a tout d’un contre-feu de crise. Une marque attaquée sur son modèle économique, son impact environnemental et ses pratiques sociales, qui réagit non pas en changeant en profondeur, mais en sur-communiquant.
On pourrait presque parler d’un “greenwashing émotionnel” : Shein n’essaie pas vraiment de démontrer qu’elle est durable, elle essaie de faire croire qu’elle est indispensable, en jouant la carte de l’émotion — “la mode est un droit”, “pour les petits budgets”, “nous soutenons les jeunes créateurs”...
Sauf qu’en 2025, le storytelling ne suffit plus à masquer l’absence de transformation réelle. Le public, surtout les plus jeunes, sent la dissonance. Et quand une marque fait tout pour faire oublier sa toxicité… ça finit par être contre-productif.
Un pari risqué sur l'opinion publique
L’un des paris de Shein, c’est que l’opinion publique française ne serait pas assez informée ou mobilisée pour s’opposer à son modèle. Que les consommateurs préfèreront toujours une robe à 7,99€ à une prise de conscience écologique. Et qu’en mettant assez d’argent dans une campagne bien huilée, on peut noyer le poisson.
Mais ça, c’est une lecture datée du public. Car même si les contradictions demeurent (on peut critiquer Shein tout en commandant chez eux), la perception évolue vite. Les jeunes générations sont de plus en plus lucides sur l’impact de leurs achats. Elles demandent de la transparence. Elles s'informent. Elles n’avalent plus si facilement les promesses creuses.
Résultat : malgré l’ampleur de la campagne, Shein n’a pas vraiment marqué de points en termes d’image. Et encore moins auprès des leaders d’opinion.
La culture change, la fast fashion résiste
Ce que cette affaire révèle aussi, c’est un changement profond de culture. Ces dernières années, une conscience écologique et sociale a émergé, y compris (et surtout) chez les plus jeunes. La mode n’est plus juste une question de style, c’est aussi une question de sens.
Face à ça, les marques qui tentent de faire du greenwashing de dernière minute apparaissent vite comme déconnectées. Ce n’est plus seulement une affaire de message, mais de cohérence globale.
Et dans ce nouveau paysage, Shein — malgré son omniprésence — ressemble de plus en plus à un dinosaure dans un monde qui change. Un dinosaure très rapide, certes, mais qui court dans la mauvaise direction.
La vraie question : peut-on continuer à produire autant, aussi vite, aussi loin ?
Au fond, le débat autour de la loi anti fast fashion ne se résume pas à Shein. Il pose une question cruciale : jusqu’où peut-on aller dans la production et la consommation de masse, sans tout cramer derrière nous ? La réponse est en train de se dessiner. Lentement. Par petites touches. Par des lois, des comportements, des choix de consommation. Et cette lente bascule, c’est peut-être ça qui fait le plus peur à Shein.
Car l’enjeu n’est pas de l’interdire, mais de rendre son modèle obsolète. De créer une norme où ce type d’entreprise n’est plus désirable. Où l’on préfère une garde-robe durable à une valise de fringues à jeter.