
Quand la mode ride la culture ride : décryptage d’un flirt pas si freestyle
On a tous vu passer les hoodies loose, les pantalons cargo un peu crados, les Vans trouées sur les podiums et dans les lookbooks ultra léchés des marques mode. Le style « skateur » est devenu si mainstream qu’il frôle la caricature… sans que beaucoup se demandent d’où il vient vraiment.
À l’heure où le FISE (Festival International des Sports Extrêmes) bat son plein à Montpellier, et que la mode continue de pomper sans relâche l’imagerie skate, BMX ou roller, il est temps de faire une pause slide sur ce lien explosif entre culture ride et fashion game. Est-ce que la mode rend hommage à cette contre-culture ? Ou est-ce qu’elle la vide de son sens à coup de drops aseptisés et de co-brandings opportunistes ?
Une culture du bitume devenue moodboard
Dès les années 70, la scène skate (puis BMX, roller, surf, etc.) s’est imposée comme un terrain de jeu anti-système. Dans la rue, dans les parkings, sur les rampes DIY, les riders ont toujours été des outsiders. Leur style, au départ purement fonctionnel — des fringues solides, confortables, pas chères — s’est transformé en manifeste visuel.
Le baggy n’était pas qu’un effet de style, c’était un besoin de mobilité. Les tees trop grands ? Une armure contre les chutes. Les vans usées ? Des chaussures adhérentes à la planche, pas des accessoires de brunch. Bref, le style ride, c’était d’abord un style de vie. Et surtout, une manière de dire "fuck le système", tout en le réinventant au passage. Mais comme souvent, ce que les marges créent, le centre récupère. Et le ride, avec son aura rebelle, est devenu une matière première ultra bankable pour les marques.

De la rue aux défilés : les riders ont-ils été dépossédés ?
Quand Supreme balance sa première collab avec Louis Vuitton en 2017, beaucoup voient ça comme un tournant : le skate entre par la grande porte de la mode luxe. Mais il faut voir le double fond : Supreme, fondée en 1994 par un vrai crew de skateurs new-yorkais, avait déjà digéré le capitalisme de la hype depuis longtemps. Ce que LV vient chercher, c’est moins l’authenticité que le storytelling cool à vendre aux jeunes CSP+.
Depuis, la liste est longue :
- Dior qui invite des riders dans ses campagnes.
- Balenciaga qui s’inspire sans jamais créditer.
- Uniqlo ou Zara qui récupèrent les codes visuels pour en faire des capsules ultra lisses.
Le paradoxe ? La mode surfe sur la vibe ride mais gomme tout ce qui en fait sa force : la prise de risque, le do-it-yourself, la sueur, la chute.
FISE 2025 : vitrine mondiale ou parc d’attractions pour marques ?
Prenons le FISE, justement. Avec ses riders venus du monde entier, ses compets de BMX freestyle, de parkour, de roller agressif et son ambiance toujours under control même dans la démesure, c’est un peu le Burning Man des sports urbains. L’endroit idéal pour sentir le pouls d’une culture en mutation… mais aussi pour observer le jeu de séduction entre marques et contre-cultures.
D’un côté, t’as toujours les puristes : les riders indés, les marques core (Vans, Dickies, Independent, etc.), les collectifs qui tiennent des stands DIY ou qui performent sur scène dans leurs propres fringues. De l’autre, de plus en plus de marques lifestyle ou même luxe qui sponsorisent, s’affichent, posent leur logo sur des rampes, des casques, des tee-shirts.
Rien de neuf ? Pas vraiment. Mais ce qui interroge, c’est la manière dont l’industrie mode récupère le décor sans en assumer les valeurs. Est-ce que le FISE est encore un bastion de la street culture ou devient-il un backdrop cool pour storytelling corporate ?
Ride & Style : l’obsession fashion du moment ?
Impossible de ne pas remarquer que le vestiaire ride est devenu un filon marketing. On parle aujourd’hui de "skatecore", de "bmx-inspired fit", d’esthétique "grunge urbain", dans les communiqués de presse. On prend les silhouettes, on oublie les idéaux.
La logique ? Toujours la même :
- Tu prends une vibe contestataire
- Tu la rends désirable via des shootings bien propres
- Tu la vends à ceux qui ne vivent pas cette culture, mais qui veulent l’incarner (le temps d’une photo Instagram)
Sauf que… tout le monde n’est pas dupe. Les vraies communautés ride, elles, voient bien les différences : entre un baggy qui vient de chez Thrasher et un modèle Zara qui coûte le triple. Entre un rider qui ride et un influenceur qui pose avec une planche qui n’a jamais touché le sol.

Ride or die : la riposte des riders
Heureusement, tout n’est pas à jeter dans ce rapprochement entre culture ride et mode. Si les grosses marques continuent de digérer la street culture pour en faire des fringues à marge x10, une autre tendance prend racine : celle des labels créés par des riders, pour des riders.
C’est le cas de marques comme Hélas (fondée par les skateurs français Lucas Puig, Stephen Khou et Clément Brunel), qui balance une esthétique hybride entre le sportswear 90s et la vibe skate très « old Europe », sans jamais renier ses origines. Ou encore Poetic Collective, né à Malmö, qui joue la carte arty mais ancrée dans le bitume, avec un vrai propos et une communauté organique.
Ces marques, et d'autres plus confidentielles, fonctionnent selon des codes radicalement opposés à ceux du fashion system classique :
Pas de collections saisonnières hystériques.
Pas de drops pour faire du faux FOMO.
Pas de marketing bullshit.
Juste des fringues pensées pour rider, par des gens qui savent ce que ça veut dire de tomber, de filmer, de créer, de galérer à faire un flip sur du béton chaud.
Le ride comme anti-fashion ?
Il y a même un certain rejet des codes de la mode dans la culture ride. On ne s’habille pas pour être vu, on s’habille pour bouger, pour durer, pour tomber sans se déchirer. C’est un vestiaire de la résilience, de la trace, de la patine. Une fringue n’est jamais aussi belle que quand elle est déchirée au coude ou usée au grip de la planche.
Autrement dit, le style dans le ride, c’est la conséquence, pas le but. Et c’est là que la récup' par la mode mainstream pose problème : elle inverse la logique. Elle vend le look sans la pratique. Elle lisse ce qui est rugueux. Elle efface le vécu pour créer de l’image.
Et c’est là que le lien se tend : la culture ride n’a jamais eu besoin de la mode pour exister. La mode, elle, a besoin de la ride pour se rafraîchir.
Quand la collab’ devient collabératrice
Cela dit, certaines collabs ont réussi à créer une vraie synergie, et pas juste un simulacre. Quand Nike SB (la branche skate de Nike) s’implante dans la scène début 2000, les puristes hurlent à la trahison. Mais à force de s’impliquer vraiment, de sponsoriser des skateurs locaux, de sortir des pro-models construits avec eux, Nike SB a fini par gagner sa place.
Même chose pour Carhartt WIP, dont l’histoire dans le skate est ancienne et légitime. Le label a su garder l’ADN workwear tout en s’adaptant à la scène européenne, avec un équilibre souvent juste entre héritage, durabilité, et esthétisme.
Ces exemples montrent que tout n’est pas noir ou blanc. Une marque peut venir de l’extérieur mais entrer dans la culture si elle respecte ses codes, ses rythmes, ses gens. L’important, c’est de ne pas faire semblant. Et surtout, de ne pas vampiriser.
Culture ride = culture visuelle
Il faut aussi reconnaître que le lien entre ride et mode tient beaucoup à l’impact visuel de ces pratiques. Un skateur qui enchaîne les tricks dans un spot urbain, c’est une image forte. Un rider qui vole au-dessus d’un bowl, c’est photogénique. Un crew de BMX dans une zone industrielle au coucher du soleil, ça crée du mood.
Pas étonnant que ces scènes nourrissent la mode : elles sont cinégéniques, épiques, brutes. Et avec l’explosion des formats courts (TikTok, Insta Reels, YouTube Shorts), le ride est devenu une machine à créer des micro-narrations visuelles qui inspirent les DA.
La question est donc moins « faut-il que la mode s’inspire de la ride ? », mais plutôt : comment le faire sans trahir ?
En guise de kickflip final
Le lien entre culture ride et mode est aussi ancien que mouvant. Il est fait de tension, de récupérations, de clins d’œil sincères et de pillages en règle. Ce lien raconte aussi quelque chose de plus large : la manière dont la mode consomme les subcultures, souvent sans les digérer.
Mais ce que la culture ride nous apprend, c’est qu’on ne peut pas faker longtemps. Ce n’est pas une vibe que tu portes, c’est un lifestyle que tu incarnes. Que tu sois sur une board, une trottinette ou un fixie, le vrai style est toujours une conséquence du mouvement.
Et ça, aucune campagne, aucun défilé, aucune collab ne pourra jamais le reproduire en studio.